Comment se sont diffusés les écrits de la résistance ?
En quoi cette diffusion participa-t-elle à un effort de guerre global vers la victoire des alliés ?
I. DIFFUSER LA RESISTANCE PAR L'ECRIT...
A. ... c'est agir dans la clandestinité
Il s'agit ici d'évoquer les écrits pendant la période de l'occupation nazie, en Europe occidentale, entre 1939 et 1945. Notre propos se concentrera sur la France occupée, de 1940 à 1944. Écrire d'une certaine manière certains textes critiquant le nazisme, l'occupant ou le régime de collaboration, et les diffuser, c'est aussi résister. Cette forme de résistance pouvait à terme s'avérer tout aussi efficace que celle qui se manifeste par des actions armées d'embuscades ou de déraillement de trains. Les écrits pouvaient servir d'appui à la résistance armée. En effet, elle permettait de diffuser dans la population des idées susceptibles de faciliter, soutenir, gonfler les rangs de ce qui fut appelée l'armée des ombres.
Pourquoi ce surnom d'armée des ombres ?
Parce que la résistance ne pouvait agir que dans la clandestinité. Il fallait se cacher, agir la nuit. La nuit permettait, en effet, de couvrir certaines actions défendues par les autorités. La résistance nécessitait également de dissimuler ou de changer une identité. Cela valait pour les écrits qui se diffusaient. Écrire dans la clandestinité, c'était signer des textes sous couvert d'anonymat ou utiliser des pseudonymes, là encore pour éviter d'être repéré par les autorités. La question première qui intéresse les résistants est de savoir quelle stratégie de contournement il fallait utiliser pour ne pas être inquiété.
B. ... en usant de stratégies de contournement pour éviter la répression des autorités d'occupation et de collaboration d'Etat
Les autorités en question, prises pour cible par les écrits de la résistance, sont en premier lieu allemandes. Elles sont en effet à l'origine, par l'occupation, de la perte d'indépendance nationale. La résistance et ses écrits s'inscrivent souvent dans une réaction à cette souveraineté nationale perdue. Il faut rejeter, harceler, déranger au maximum cette présence. Celle-ci met en place un système de surveillance et de répression de toute opposition très efficace. Elle est symbolisée par la Gestapo. Cette police politique a fait ses preuves en Allemagne depuis 1933. Elle opère dans tous les pays occupés. Pour ceux qui se trouvent être dans sa ligne de mire, les arrestations, les interrogatoires, la torture, la déportation ou l'exécution sont souvent rattachés au nom de la Gestapo. Mais, dans le contexte d'occupation, le travail de la Gestapo est facilité par les autorités nationales. Les administrations ou les polices du pays d'origine se doivent d'apporter un soutien à la Gestapo. C'est là une illustration de ce qui fut appelé la collaboration d'État. Pour les écrits de la résistance, la Gestapo, les autorités de la collaboration, les idéologies politiques dont se revendiquent chacune sont aussi les principaux ennemis à abattre et ce par de multiples moyens.
II... PAR DE MULTIPLES MOYENS ...
A. ...traditionnels ...
à portée individuelle avec la correspondance ou à portée plus large avec les tracts
Les méthodes traditionnelles qui consistent à diffuser un message de résistance pourraient être définies comme celles usant de moyens rudimentaires les plus simples, et se servant des techniques les plus anciennes. Elles seront au centre de cette forme de résistance tout au long de la période d'occupation. En effet, elles sont adaptées à un univers clandestin ne disposant que de peu de moyens financiers. Lorsque l’on parle de méthodes traditionnelles, ce sont les formes manuscrites qui se dégagent en premier lieu. On peut citer en exemple les lettres individuelles envoyées à des proches, dans lesquelles on critique de manière implicite ou explicite les autorités. Ces lettres n'ont qu'une faible portée mais peuvent permettre de convaincre des connaissances de mener à leur échelle le combat de résistance. Elles sont de ce fait surveillées.
Dans l'exemple ci-contre nous voyons un rapport de l'administration d'occupation qui, après avoir intercepté une lettre, constate ce qui est critique, voire dangereux, dans celle-ci. Ce rapport de la préfecture de Savoie, daté de décembre 1942, considère ces propos comme inadmissibles. Voici les propos retranscrits : "Ton moral me semble moins bon ! Comment au moment où cela tourne à notre avantage, tu n'as donc pas confiance ?... Quand on entend la radio de Londres et les Américains on puise du courage, le courage de tout supporter [...]
Ce sera le plus beau jour celui où on criera : "Vive de Gaulle !"
Archives départementales de la Savoie. Le 6 décembre 1942.
Graver, peindre, écrire un message sur un mur est une autre facette de ces formes traditionnelles d'écrits. Sa portée est plus grande. Il s'agit d'interpeller le passant par un message inscrit à la hâte. Le message doit, de ce fait, être percutant pour convaincre. Le choix du lieu du graffiti doit être judicieux. Il doit être vu par le plus grand nombre. Le graffiti ci-contre utilise des dates et des symboles pour être compris du grand nombre: 1918, année de la fin de la Première Guerre mondiale et 1943, année de l’inscription de ce graffiti. Le grand "V" doit faire le pont entre les deux avec le signe =. Le message est clair : ce qui fut possible en 1918, en l'occurrence la victoire, est encore possible en 1943. Le seul moyen d'y parvenir est la résistance.
Le papillon se développe également durant la période. C'est un petit bout de papier reproduit en plusieurs exemplaires jeté dans la rue ou placé entre deux briques. Ces slogans sont courts et visent souvent des personnalités du gouvernement de Vichy comme "Pétain au dodo, Laval poteau".
Avec le tract, on franchit une étape suivante. Les textes sont plus longs, agrémenté d'un dessin, le procédé est encore manuscrit comme on le voit avec le tract anti-allemand ci-contre.
Le tract manuscrit a cela de particulier qu'il émane le plus souvent d'une initiative individuelle, ou d'un groupe restreint dans ses effectifs et ses moyens. Ils sont cependant très révélateurs de ce que pouvait vivre toute une frange de la population dans un contexte d' occupation et de grande privation. Cet autre tract témoigne des difficultés à acquérir de la nourriture à cette époque. Il est anonyme et s'adresse en particulier aux femmes. Il émane d'un groupe nommé le comité populaire des femmes. Il en appelle, en outre, à la manifestation en donnant une date et un lieu de rendez-vous. Ici, l'écrit doit motiver une autre forme de résistance.
Archives départementales de la Savoie. Mars 1942.
B. ...ou modernes avec les tracts imprimés et les journaux de la résistance
Les tracts ne s'inscrivent pas que dans le mode du manuscrit. Ils peuvent être imprimés. Il prennent également la rue comme point de référence. Les messages des tracts doivent être courts et efficaces de la même manière. La distribution des tracts se fait de main en main dans le métro. Elle peut se faire par jet de paquets de feuilles à partir d'un vélo. Des tracts peuvent enfin être largués sur les territoires occupés par l'aviation alliée. Les tracts imprimés émanent de réseaux plus structurés que les précédents exemples. Le combat de résistance est très souvent bien défini. Cet imprimé montre que plusieurs mouvements de résistance peuvent se fédérer et regrouper leurs moyens pour dénoncer ensemble une pratique de l'occupant. Il se focalise sur l'inquiétante déportation des populations juives de France. L'association facilite la diffusion d'un message auprès de la population.
Archives départementales de la Savoie. Octobre 1942.
Les journaux ou revues sont une forme encore plus aboutie des écrits imprimés de la résistance.
Quelques couvertures de journaux et de revues de la résistance françaises
Les presses et les lieux de productions des revues et journaux aux nécessitent des moyens humains, matériels et financiers plus importants. Il est difficile de dissimuler le bruit des machines et de disposer de caches suffisamment vastes pour imprimer plusieurs numéros d'un journal. Souvent les titres et les rédactions de ces journaux s’intègrent dans des réseaux de résistance ou des partis politiques spécifiques. C'est le cas de l'illustre Combat dont l'orientation est plutôt à gauche de l'échiquier politique. Il compte dans ses plumes et sa direction, a partir de 1943, des noms comme celui d'Albert Camus, le grand écrivain. Avant d'être un journal, Combat était un mouvement de résistance.
III... ET PARTICIPER AINSI A UN EFFORT GLOBAL ET USER D'UNE AUTRE PROPAGANDE ...
A. ... en s'intégrant dans le camp d'un allié
L'effort global dont nous parlons pour les deux conflits mondiaux, c'est celui qui doit tendre vers la victoire finale d'un camp. La résistance par l'écrit peut participer à la propagande de l'un des camps. L'affiche dans cette forme de résistance par l'écrit a, comme l'ensemble de l'armée des ombres, bénéficié de moyens croissants surtout de la part des États-Unis. L'exemple de cette affiche est intéressant. On y voit l'utilisation d'un moyen moderne, l'affichage de propagande, faisant référence à un moyen de résistance traditionnel comme le graffiti sur un mur. Ici, les moyens américains sont destinés, on le voit, à redorer, à réaffirmer la Nation française, symbolisée par le drapeau tricolore. Ce dernier est repeint sur l'emblème national allemand et symbole nazi, la croix gammée.
Affiche de propagande pro- américaine
B. ... en s'affiliant à un réseau plus ou moins vaste.
L'usage d'une autre autre propagande c'est aussi, nous venons de le voir, se doter d'autres symboles, forts, reconnaissables. Chaque symbole doit renvoyer à un camp, un réseau une figure ou parti politique. La croix de Lorraine renvoie à une affiliation au mouvement de résistance du général De Gaulle. La faucille et le marteau est associé au parti communiste et par extension à une allégeance à l'URSS. La résistance par l'écrit devient progressivement, quand elle se conjugue à la propagande et ses moyens, une guerre des signes, des clans, des réseaux, des idéologies.
Sur l'affiche ci-contre, les drapeaux américain, britannique, français sont du côté gauche du marteau et l'URSS de l'autre, sur l'affiche ci-contre. L'enclume porte la croix de Lorraine. C'est la résistance qui, ici, est assimilée au seul gaullisme.
Des divergences qui donnèrent lieu aux divisions importantes d'un monde libéré des nazis. Le monde bipolaire de la guerre froide était peut-être déjà en germe dans cette résistance par l'écrit.
Affiche de Jean Carlu réalisée en 1944 sur commande des États majors alliés